Légende recueillie par Paul Brunet auprès d’un grand-père qui s’appelait Basilou Lacaze. Il habitait : « Cha Marschal » autrement dit chez Marcel, là où Paul habite aujourd’hui.
Autrefois, pour Carnaval, le soir venu, des bals étaient organisés dans les débits de boissons. Des personnes masquées ou déguisées s’y rendaient et gardaient l’anonymat le plus longtemps possible. Elles profitaient de leur déguisement pour faire des farces et demander aux habitants des friandises ou quelques pièces de monnaie.
Il était chanté une chanson, une complainte assez triste ; les seules paroles que je connaisse sont celles-ci :
« Pavre cornobal, tu timbat, et you démore per monchat lo choupe o l’oile et lez fars sans cambajou et lou pa sans lardou ». (« Pauvre Carnaval toi tu pars, et moi je reste, pour manger la soupe à l’huile (de noix), et les fars sans jambon, et le pain sans lardon. »)
Cela voulait dire que, parfois, à cette époque de l’année, le saloir était vide et que les pauvres gens ne mangeaient plus de viande. Quant à la fameuse huile de noix, il y avait longtemps qu’elle était rance et tout juste comestible. Pourtant l’espoir revenait avec les jours qui rallongeaient.
Il y avait aussi les rats qui consommaient une partie des récoltes ou les rendaient impropres à la consommation. Pour combattre la gent trotte-menu un ou plusieurs chats partageaient le logis et la chaleur du foyer.
Un soir de Carnaval, Jantou de Boisset rentre chez lui ; il est si fatigué qu’il n’envisage même pas d’aller danser ; il a fendu du bois toute la journée pour le vieux curé de Rueyres, ses bras sont douloureux et il n’a qu’une envie : aller se coucher. De toute façon, avec ses enfants trop petits, il n’est pas possible d’aller au bal.
La nuit est déjà tombée, les buissons couverts de gel s’ornent de fresques scintillantes au lever de la lune. Par le sentier, il arrive au sol du « poutou », sorte de promontoire qui domine la prairie pas très loin de chez lui.
C’est alors qu’un spectacle insolite le cloue de stupeur : dans une petite clairière, au clair de lune, des centaines de chats, debout sur leurs pattes arrière, la queue à l’horizontale, dansent au son d’une douce mélopée venue de nulle part. De temps en temps, ils semblent s’embrasser et changent de partenaire.
Jantou se signe, croyant voir une manifestation diabolique. Il n’ose plus bouger ; un gros matou niché sur une branche à hauteur de son visage, trop âgé pour danser ou bien placé là en sentinelle, l’interpelle de façon distincte et en patois ! Voici ce qu’ils se sont dit, traduit en français :
« Dis l’homme ! sais-tu ce que coûte ton indiscrétion ? Tu perdras la vue dès demain et la vie par la suite. » Des éclairs dorés jaillissent des yeux du félin.
Se sentant perdu le pauvre homme tombe à genoux en implorant l’animal :
« Pitié Monsieur le chat ; je ne suis qu’un pauvre laboureur, mon travail nourrit une nombreuse famille de bons chrétiens et je suis très gentil avec vos semblables. » arrive-t-il à chuchoter.
À ces mots l’animal perd son courroux et lui explique ce qui se passe :
« Aujourd’hui, nous venons de tenir un conseil, car nous observons les hommes et le jour du Jugement Dernier, nous rendrons compte de tous vos péchés à Saint-Pierre. C’est au cours de ce sabbat que le Très Haut nous donne ses instructions.
Pour nous remercier, il nous offre ce petit bal. Cela nous permet de faire connaissance et de nous embrasser : c’est pour cela que ce lieu s’appelle le baiser. C’est aussi le seul jour ou l’on parle votre langue.
Puisque tu es bon avec nous, et que tu es un excellent chrétien, je t’autorise à rentrer chez toi pour élever ta famille Mais, mets tes semblables en garde de ne point troubler cette fête par curiosité, le châtiment serait sans pitié. »
Jantou ne demande pas son reste et file aussi vite que ses jambes peuvent l’emporter.
Personne n’a encore transgressé cet avertissement, et lorsque nous faisons quelque chose de mal il y a toujours un chat pour le rapporter à Saint Pierre.
Cette légende où se mêlent la religion et le surnaturel est une leçon de morale qui, à l’époque, incitait les enfants à être sages.
Vous pouvez écouter cette légende contée par Margot D Marguerite, comédien, écrivain et habitant de Thémines :
Le sol du poutou est visible du lieu dit Belvert, point 6 de notre circuit « Les clés de Thémines ».
Merci a Paul pour cette belle légende avec les chats et bravo à Margo D Marguerite pour la lecture très imagée. On en redemande.