Conférence consacrée principalement à la grotte de Roucadour, une grotte ornée archaïque.
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Située dans la partie nord du causse de Gramat, la grotte ornée de Roucadour (territoire de la commune de Thémines) est une vaste caverne de 300 mètres de longueur qui fut de tout temps très fréquentée par les habitants du lieu, les spéléologues et les préhistoriens. Michel Lorblanchet, spécialiste de l’art préhistorique – directeur de recherches au CNRS – retraité évoque pour La Vie Quercynoise, les grandes heures des découvertes menées au cours des soixante dernières années.
Le 21 octobre 1962, les spéléologues Jean-Paul Coussy et Pierre Taurisson (Brive) découvrent les peintures et gravures pariétales dans une galerie latérale. Les figurations découvertes sont localisées dans une profonde diaclase (large fente de la paroi) à 5 mètres au-dessus du sol. Le 28 août 1964 la grotte ornée est classée « Monument Historique ». Les travaux de relevés sont esquissés, d’abord, par les inventeurs, puis repris rapidement, par l’abbé André Glory, préhistorien du CNRS qui venait d’effectuer des relevés à Lascaux. Il est aidé par son collaborateur, le séminariste Jean-Louis Villeveygoux. Ils effectuent cinq courtes campagnes de relevés à Roucadour en 1964-1965-66 pour une durée totale de 21 journées de travail dans la grotte. (ref. B.G. Delluc « Les travaux d’André Glory à Roucadour » in « Roucadour-Quarante ans plus tard-Bulletin Préhistoire du Sud-Ouest 2009, p. 5-93 »)
Le 29 juillet 1966, A. Glory et JL. Villeveygoux sont tués dans un accident de voiture.
En 1969, alors que je viens d’être admis chercheur au CNRS, le professeur L. Balout, directeur de l’Institut de Paléontologie Humaine (également « directeur de recherches » de A. Glory, qui était ingénieur au CNRS) me confie un rouleau de relevés de A. Glory en me déclarant « Puisque vous vous consacrez à l’étude des grottes ornées du Quercy et que vous habitez sur place, vous allez poursuivre l’œuvre de Glory, voici les relevés qu’il a effectués dans la grotte de Roucadour, je vous demande de les compléter et de les publier » J’ai rangé ces relevés dans mes archives et à la fin de nos recherches nous avons comparé les relevés de Glory avec les nôtres.
En 1969 Il est impossible d’entreprendre immédiatement des recherches à Roucadour par suite de diverses difficultés : les gravures sont situées à 5 m au-dessus du sol actuel, et l’échafaudage construit par A. Glory est en ruine – la propriétaire de la grotte refuse de m’autoriser à travailler librement dans la grotte qui, par ailleurs, est l’objet de fouilles clandestines et ne possède pas de fermeture efficace. Mes recherches à Roucadour sont remises à plus tard. Mais des conditions nouvelles vont permettre de reprendre l’étude des peintures.
En 1992, la grotte de Roucadour est achetée par l’État ; une solide grille est alors installée dans l’entrée.
En 2002 une plate-forme métallique est installée devant la diaclase contenant les gravures, par le Service Régional d’Archéologie, afin de permettre l’étude des œuvres pariétales.
Notre équipe – l’étude complète des gravures de Roucadour
En 2002, j’obtiens l’autorisation officielle de l’État de reprendre l’étude complète de la galerie ornée de Roucadour. Je constitue alors une équipe pluridisciplinaire comportant mes collaborateurs habituels (Josseline Lorblanchet, Guy Bariviera) et j’invite mon ami Jean-Marie Le Tensorer, professeur à l’université de Bâle (Suisse) à participer à mes travaux avec ses étudiants et chercheurs : Christine Pumpin, Christine Kerbs, Ingmar Braun, Reto Jagher.
Notre équipe se complète par une étudiante et collaboratrice du professeur Bosinski, Ruth Hecker, ainsi que par des étudiants en préhistoire de l’Université de Toulouse : Charlotte Boureux, Laurence Martial-Guilhem, et Alice Redou. Tous les travaux se déroulent sous la direction scientifique conjointe de Michel Lorblanchet, directeur de recherches au CNRS et Jean-Marie Le Tensorer professeur de préhistoire à l’université de Bâle, Michel Lorblanchet ayant la responsabilité des relevés pariétaux alors que le professeur Le Tensorer a la responsabilité des fouilles.
L’équipe est complétée par les spécialistes Sébastien Lacam, géomètre qui effectue avec nous les relevés topographiques, David Smith minéralogiste du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et sa collaboratrice le Dr Francesca Ospitali (Université de Bologne) qui réalisent l’analyse des pigments et Hubert Camus, géologue, pour l’étude géologique et géomorphologique du contexte naturel des œuvres pariétales. Nos recherches se poursuivent pendant 6 années consécutives de 2002 à 2008.
Nos résultats
Les fouilles que nous effectuons révèlent l’évolution de la topographie de la cavité à la fin de l’époque glaciaire, caractérisée par un effondrement du sol de 3 mètres, ce qui explique que les peintures et gravures sont suspendues aujourd’hui à 5 m au-dessus du sol actuel. La grotte ornée de Roucadour se distingue d’abord par l’accumulation des figurations peintes et gravées dans une diaclase, une fente pariétale large de 3 m à l’ouverture et profonde de 5 m, se terminant par une fissure emplie d’argile rouge vif. Le symbolisme féminin de cette fente naturelle évoquant un sexe féminin ne fait guère de doute. La diaclase de Roucadour semble avoir été interprétée comme le ventre géniteur, le lieu de naissance des créatures vivantes. Nous avons ici une quarantaine de motifs au mètre carré ce qui constitue une densité de figurations pariétales tout à fait exceptionnelle. Nos relevés sont fondés sur le déchiffrement des parois ornées par le moyen de l’exploration photographique des parois, suivi par des calques sur photographie réalisés dans la grotte, devant les originaux. Ces relevés sont aujourd’hui terminés.
Nous avons relevés au total 495 motifs pariétaux dont 139 animaux, 213 signes, 119 motifs indéterminés, 13 mains négatives, 2 anthropomorphes et 2 vulves.
Les représentations animales se répartissent en 43 chevaux, 22 félins, 16 Mégacéros, 11 bisons, 9 mammouths, 8 bouquetins, 6 cerfs communs, 4 aurochs, 1 ours, un lièvre, un renne, 1 canidé, un oiseau, 1 élan, 1 animal composite, et 13 animaux indéterminés.
(extrait sonore consacré au lièvre gravé)
Nous avons découvert plus du double des figurations que l’abbé Glory, 40 ans plus tôt, avait relevées dans des conditions techniques bien plus difficiles. Nous avons comparé nos résultats avec les siens dans notre article « Roucadour 40 ans plus tard » Préhistoire du Sud-Ouest 2009-1, p. 5-94. Par ses thèmes et son style, Roucadour est proche des ensembles ornés gravettiens du Quercy (Pech-Merle, Cougnac, Les Merveilles, Les Fieux, Puy Jarrige II) et du Périgord (Cussac). Ses figurations se situent entre 28 000 et 30 000 ans environ avant le présent.
Michel Lorblanchet
(article paru le 1er mai 2019 dans « ActuLot »)